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Jacques Cartyeah
28 octobre 2012

Gloire à toi, Parmentyeah

Mgngngnngnn.

 

Tarieu de réveil. Il m’arrache de ma belle Morphée à 5h00 ce matin. Le jour est encore loin de se lever (chanceux, lui), et je suis déjà en train de relire pour la 27e fois les valeurs nutritives de mes céréales, à la lumière blafarde de la cuisine, les yeux plissés, l’haleine douteuse et la mèche rebelle au coin du front, avec le café comme seul réconfort. Ce qui me tire de mon sommeil pourtant si lourd, c’est le dernier épisode d’un feuilleton qui a eu lieu durant tout le mois d’octobre :

THE RECOLTING OF THE POTATOUZES. (pour les non-bilingues : la récolte des patates).

Hé oui, mon patron, pour fêter le fait qu’il ne me verra bientôt plus cette année (ses vacances sont toutes proches, et il donne le dernier coup de collier avant de partir tout oublier pendant 2 mois en Floride), m’a invité à la récolte des patates dans ses champs.

Pour ce faire, je rejoins à 5h45 toute une bande d’hindous qui se déplace dans un bus scolaire jaune de Montréal à la ferme de Daniel (à environ 40 kms au sud). Le temps de récupérer tout le monde (hindous, mais aussi russes, français et une cambodgienne qui passait par là), s’extraire du trafic montréalais, essayer vainement de finir ma nuit sur la banquette en skaï gris du fond du bus (la suspension du bus, du type planche de bois, et l’état des routes québécoises une fois sorti de Montréal invite plus à la musculation du fessier qu’au repos serein), s’arrêter à la ferme pour que tout le monde se change et se prépare pour affronter le froid (il a neigé le 12 octobre, premier jour auquel je les ai rejoint), et nous voilà sur le pied de guerre à 7h60 tapantes.

IMG_20121026_083140

Photo prise depuis un téléphone 50% américain, 50% chinois, 100% pourri, alors s’il vous plait, je vous en prie.

Passé le côté bucolique et « retour à la terre » d’un citadin en mal de contact avec mère Nature, c’est une vraie dure journée qui m’attend. Ayant sous-estimé le froid, c’est en simple pull et écharpe légère que je me retrouve à quatre pattes pour ramasser les pommes de terre qu’exhume Daniel avec son tracteur de la terre encore gelée. Les hindous, bien moins cons que moi, sont équipés pour faire face : impressionnants turbans multicolores pour les oreilles, grosses doudounes pour le corps, sacs-poubelles coupe-vent pour les jambes et double paire de chaussettes. L’efficacité calorifuge prime sur le glamour, on n’est pas là pour un défilé de fashionistas.

Ramasser ce qui vient à l’œil nu, puis fouiller le sol pour voir celles qui ont été ensevelies par le retournement de la terre, balancer le tout (avec un souvenir de délicatesse pour ne pas les abîmer) dans de gros paniers en bois tressé, se déplacer de 2 mètres, puis recommencer. Voilà le programme de la journée, jusqu’à la tombée de la nuit, avec en tout et pour tout 1 heure de pause (15 min le matin, 30 le midi, et 15 l’après-midi).

Passée l’euphorie des 5 premières minutes (se rouler dans la terre sans se faire disputer par maman relève de la vielle névrose enfantine enfouie enfin assouvie), je galère.

J’ai froid. Aux mains surtout. Mais partout en général. La terre que nous fouillons est gelée.

J’ai faim. Le petit déjeuner est déjà loin, et la pause casse-croûte, qui sera loin d’être un festin, n’arrivera pas avant de longues heures.

J’ai mal. Aux mains, tellement j’ai froid, aux genoux, à force de m’appuyer dessus, aux jambes, à force de les plier-déplier. Ma nuque se raidit et devient un morceau de bois impossible à détendre à mesure que je soulève ces satanés paniers qui s’alourdissent de minute en minute. Mes yeux me piquent à force d’être agressés par la poussière qui se dégage des patates que l’on vide dans la remorque du tracteur.

Je jette un coup d’œil à mes collègues d’un jour. Tout ce petit monde discute dans la langue qui lui est propre, avec le sourire, et me gratifie d’un thumb up ou d’une tape dans le dos lorsqu’il croise mon regard.

Tout le monde galère, mais tout le monde sourit. Impressionnant. Les femmes chantent leur chanson traditionnelle, et les hommes se paient parfois de bonnes tranches de rire. Même si le boulot est éreintant, toute la bande de Daniel l’abat (le boulot, pas Daniel, entendons-nous) dans la bonne humeur.

Je suis le seul dans ma tranche d’âge, le reste de la troupe est plus proche des âges auxquels si on se réveille sans avoir mal nulle part, c’est qu’on est mort. Je pense donc, sans me jeter de fleurs, être le plus proche de l’optimum physique, et je suis cassé après quelques rangs récoltés. Je serais bien mal placé pour me plaindre.

Faisant contre mauvaise fortune bon cœur, je décide d’essayer d’engager la conversation avec un bonhomme aux bacchantes généreuses. Raté. Il parle anglais ou français comme je parle hindou. Bon, on va s’en tenir aux sourires de circonstances, hein. De toute façon, nous voici arrivés tant bien que mal à 10 heures, la récré sonne et nous autorise un bref répit. Retour rapide au bus, dans lequel je découvre un à un des muscles dont je ne soupçonnais même pas l’existence.

Ayant récupéré autant que possible, nous sortons du bus ragaillardis, avec l’envie d’en découdre, et le corps habitué au froid. Je le sens, mais n’en souffre plus. La banane planquée au fond de mon sac délivre progressivement ses nutriments, et j’arrive à envisager plus sereinement la fin de la journée. Mais la vue de ce que nous avons déjà récolté en rapport avec ce qui nous reste à faire sape le moral que je m’étais construit. Tant pis, on y retourne.

Rendus dans le champ, nouvelle tentative de contact, cette fois avec un des mexicains employé par Daniel. Pas beaucoup mieux, Rifulio ne parlant pas un traître mot d’anglais, et encore moins de français. Je décide donc de me lancer en espagnol, en gardant à l’esprit que j’avais coché Allemand en LV2 au collège.

« Es su primer nino ? » (est-ce que c’est votre premier enfant ?), « Una cerveza por favor » (y a-t-il besoin de traduire ?), et « Despacio, por favor » (lentement, s’il vous plait) constitue l’intégralité de mon bagage linguistique ibérique, en dehors des inévitables insultes et jurons, que j’estime déplacés lors d’un premier contact.

Pas facile. Mais à force de volonté, j’arrive à me faire comprendre, et à faire parler mon interlocuteur, tout heureux de trouver quelqu’un qui s’essaie à son sabir. Même si mes constructions grammaticales doivent ressembler à du « si je pourrions viendre dans Mexique, cela était génial !! Je jamais viendraient en pays toi, mais j’aimer beaucoup essayeront si ce serez possibilité. », Rifulio semble me comprendre, ou tout du moins, est suffisamment poli pour me le faire croire.

Voyant que je m’accroche pour soutenir la conversation, il commence à s’enflammer, et parle de plus en plus vite. Mais constatant que je réponds par un regard de truite morte à une de ses plus longues phrases, il comprend que mon apprentissage de l’espagnol ne peut pas se faire aussi vite qu’il le désirerait. Qu’à cela ne tienne, je tente le tout pour le tout, et essaie de le faire parler du Mexique.

« Alors, vous avez toujours autant de problèmes de corruption chez vous ? », « As-tu déjà eu des membres de ta famille tués par les narco trafiquants ? », « Savais-tu que Mexico est considéré comme une des villes les plus polluées au monde ? », « La dernière fois que le Mexique a fait parler de lui au niveau mondial, c’était lors de l’épisode de la grippe mexicaine, non ?? », « Il y a eu un match France-Mexique à l’issue duquel, mon ami Romain1 a vomi dans mon lit » me paraissent des conversations somme toute assez passables.

Ah, ça y est j’ai trouvé.

Il y a 10 ans, mon cousin m’a fait écouter du Molotov, qui reste à ce jour le seul groupe de rock mexicain que je connaisse (à écouter, le titre Apocalypshit : http://www.youtube.com/watch?v=boTKLuI7nzM . Oui, c’est bien ça, ils prononcent bien le titre de la chanson en rotant, ce dont les fans de Breakin Bad ont été privés. Pour des chansons plus sérieuses, et plutôt pas mal foutues, écouter Puto, Polkas Palabras ou Rastamandita, radicale en cas de déprime). En voilà, un bon sujet.

Je me lance. Il ne comprend pas.

Je réessaie. Il ne comprend toujours pas.

Encore une tentative, simplifiée à l’extrême. Il me confirme qu’il habite Mexico, et qu'il est papa d'une petite Gloria.

OK. On va arrêter de jouer les interprètes, et on va se concentrer sur les tubercules tant désirées, hein. Un silence gêné s’installe, soulignant cruellement que la langue est une barrière difficilement surmontable pour l’entente cordiale entre tous les peuples.

La collecte de pommes de terre demandant assez peu d’efforts intellectuels, je me rabats sur une de mes activités favorites : rêvasser. Le côté positif de mon manque chronique d’attention me permet de m’ennuyer des heures sans m’emmerder une seconde. C’est ainsi que mon esprit divague sur mon futur au Québec, Rémi qui va devenir papa ces prochains jours, l’ascension de Jean-François Copé, la paternité imminente d’un de mes amis, le solo d’Ize of the World des Strokes, Gaëlle qui va accoucher d’une minute à l’autre, l’immigration de mon grand-père au début du siècle, le couple Pahin-Delavenna qui s’apprête à accueillir un nouveau gluant, et bien d’autres sujets.

Tant et si bien qu’il faut m’interrompre pour m’arracher à ma tâche. Habitué au froid et à la douleur, somme toutes supportables, je me suis au fil de la journée transformé en cheval de trait, concentré sur sa tâche, et résolu à avancer jusqu’à la dernière patate ou jusqu’à ce que mort s’ensuive. Il est vrai que l’après-midi est déjà bien avancée et qu’il faut compter le temps du trajet retour.

Daniel nous charge sur sa remorque et nous mène non pas au bus du retour, mais vers un champ déjà récolté. Un moment me doute me traverse : le rythme de travail incroyablement intensif auquel il se livre (depuis mars, il n’a pris qu’un jour de congé, le 13 septembre, pour fêter son anniversaire) lui aurait-il tapé sur la caboche ??

Non, non, non. Il faut juste « nettoyer » le champ. Tous les ans, le dégel provoque des remontées de pierre vers la surface, et il faut s’en débarrasser. Yeehaa. Nous finissons donc la journée en beauté, en soulevant des pierres nécessitant parfois les bras de deux bonshommes pour être chargées dans la remorque de Daniel. Tiens, il était donc possible d’être plus fatigué que je ne l’étais jusqu’à maintenant.

Le soleil se couche sur la campagne québécoise, et le dernier retour vers le bus est le bon. Nous reprenons l’enthousiasmant chemin de ce matin dans l’autre sens, bercé par les chants hindous pas du tout répétitifs. Une russe me glisse qu’elle fait ce boulot depuis le mois de juillet et qu’elle en a perdu 11 kilos. Quand même.

Je rentre chez moi à 20h30, complètement à plat, les membres pantelants de courbatures, les mains écorchées, les articulations cagneuses, les yeux creusés, la face pleine de terre (ma coloc m’en demande si je me suis maquillé), et une furieuse envie d’un bain chaud, objectivement assez mérité.

J’ai ramassé des pommes de terre. Par séries de 3 jours de suite, plus, ça aurait vraiment été difficile. Et je sais que je peux repartir sur d’autres boulots, bien moins éprouvants. Mais l’équipe avec qui j’ai travaillé fait ça apparemment toute l’année. Avec le sourire, toujours.

Loin de moi l’idée d’utiliser l’expression niaise de « leçon de vie », mais que celui qui se plaint de son boulot prenne ce bus quelque temps, il se pourrait qu’il change rapidement de discours.

 

1 Pour des raisons de discrétion évidentes, le prénom n’a pas été changé. Et la situation n’a pas été inventée.

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Commentaires
G
Quitter la Haute-Patate, traverser l'Atlantique pour ramasser des patates, c'est un comble!
Jacques Cartyeah
  • Après y avoir réfléchi pendant plusieurs années, me voilà rendu en terre québecoise pour de bon !! Lecteur, voici mon devoir de mémoire pour cette année à venir. Ou peut-être plus... "On va bien voir"
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